La réforme de la garde à vue illustre la nécessité pour la France de se mettre en conformité avec le droit de l’Union européenne. Sa mise en application, dès le 1er juillet 2024, à quelques jours des Jeux Olympiques de Paris, interroge les syndicats de policiers, les représentants des magistrats et les avocats. Mais pourquoi parle-t-on d’une réforme en profondeur ? Quelles conséquences implique-t-elle pour un gardé à vue, notamment s’il est l’auteur d’un délit routier ou de violences intrafamiliales ? Le point dans cet article avec Maître Dupuy-Chabin.
Finances, code de la consommation, numérique, fonction publique, congés payés, transition écologique : la loi n° 2024-364, promulguée le 22 avril dernier, vise, d’une part, à transposer plusieurs directives européennes au droit français. D’autre part, à assurer la cohérence de celui-ci avec les règlements européens en vigueur dans ces différents domaines. À ces derniers, il convient d’ajouter le domaine pénal.
Dans ce sens, la loi inaugure des dispositions nouvelles dans le Code de procédure pénale concernant :
- L’échange d’informations entre les services répressifs des États membres de l’Union Européenne. Entre autres, quant à la lutte contre le terrorisme.
- Le mandat d’arrêt européen.
- Et la garde à vue.
Une réforme qui mit du temps à voir le jour
La réforme de la garde à vue succède à plusieurs phases, durant lesquelles le Conseil Constitutionnel français, la Cour de Cassation, et finalement, la Commission européenne, sont tour à tour intervenus. Et ce, afin d’initier notamment un équilibre durable entre la préservation de l’ordre public et les droits de la défense.
Dans ce sens, le Parlement français adopte la loi n° 2011-392 le 14 avril 2011. Celle-ci limite la garde à vue aux délits passibles de prison. Parmi ces derniers, ceux punis d’au moins un an d’emprisonnement sont les seuls à permettre la prolongation de 24 heures de la garde à vue (48 heures en tout). En outre, les fouilles au corps sont plus encadrées et l’officier de police judiciaire (OPJ) a l’obligation d’indiquer au gardé à vue son droit au silence.
Enfin et surtout, cette loi autorise la présence de l’avocat pendant toute la garde à vue (contre trente minutes avant sa promulgation). Elle lui garantit également l’accès aux procès-verbaux relatifs aux auditions du gardé à vue.
Des dispositions nouvelles insuffisantes, selon la Commission européenne
La directive 2013/48/UE, appelée aussi “directive C”, est prise par le Parlement européen le 22 octobre 2013. Cette directive est relative au droit :
- D’accéder à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen.
- D’informer un tiers dès la privation de liberté.
- Et pour des personnes privées de liberté, de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires.
L’entrée en vigueur de cette directive, notamment dans le droit français, est programmée le 27 novembre 2016. À cette occasion, la Commission européenne enjoint une première fois la France de se conformer à cette dernière. Elle lui notifie une seconde mise en demeure le 23 septembre 2021, du fait de la persistance de certaines dispositions contraires à la directive C dans le Code de procédure pénale français. Elle ira même jusqu’à évoquer la possibilité d’un recours en manquement, pour non-respect de cette directive.
Réforme de la garde à vue 2024 : en profondeur
Tout d’abord, la loi du 22 avril 2024 rend obligatoire la présence de l’avocat. Et ce, avant que toute audition puisse avoir lieu. Cela implique la suppression du délai de carence de deux heures, au-delà duquel l’OPJ était jusque-là autorisé à débuter l’audition malgré l’absence de l’avocat. En outre, l’article 32 de la loi prévoit que “si l’avocat […] ne peut être contacté ou déclare ne pas pouvoir se présenter dans un délai de deux heures […], l’officier de police judiciaire […] saisit sans délai et par tous moyens le bâtonnier aux fins de désignation d’un avocat commis d’office.”
En parallèle, la loi introduit dans le Code de procédure pénale, au premier alinéa de l’article 63-2, l’opportunité pour le gardé à vue de prévenir la personne avec laquelle elle vit d’habitude, un membre de sa famille en ligne directe, son employeur. Mais aussi, désormais, “toute autre personne qu’elle désigne”.
Exceptions soumises à certaines conditions
Ces deux nouvelles dispositions renvoient aux deux principaux éléments que la Commission européenne avait souligné comme n’étant pas suffisamment transposés au droit français, avant la promulgation de la loi. Malgré tout, celle-ci prévoit aussi certaines exceptions. En particulier, concernant la présence obligatoire de l’avocat.
Dans ce sens, le procureur de la République conserve la possibilité :
- D’une part, de reporter la présence de l’avocat, pendant une durée ne pouvant pas excéder douze heures (article 63-4-2 du Code de procédure pénale).
- D’autre part, de faire procéder à l’audition du gardé à vue et à toute confrontation sans délai (article 63-4-2-1 du même code).
Cependant, ces deux exceptions sont soumises à des conditions beaucoup plus restrictives. Qui plus est, elles doivent être dûment motivées. De plus, on note dans le second cas que le gardé à vue peut s’entretenir avec son avocat même si celui-ci arrive durant l’audition. Autrement dit, l’audition est interrompue. De plus, l’avocat peut assister à l’audition en cours dès son arrivée. Et ce, même si son client gardé à vue ne souhaite pas s’entretenir avec lui.
Droit routier, droit de la famille : qu’implique la réforme de la garde à vue ?
L’article 32 de la loi du 22 avril 2024 étend le droit d’accès au dossier pendant la garde à vue. Autrement dit, l’avocat peut désormais consulter les procès-verbaux des auditions et des confrontations de son client. Et ce, dans une logique de renforcement des droits de la défense efficace.
À titre d’exemple, dans le cadre de violences intrafamiliales, cela permet à l’avocat de prendre connaissance des déclarations que le gardé à vue aurait pu faire en son absence, et ainsi, d’optimiser la suite de ses déclarations dans le cadre des futures auditions. Ou bien encore, de le préparer efficacement à une confrontation avec la victime de violences.
Me Dupuy-Chabin : votre avocat vous informe
La nouvelle disposition qui permet désormais de contacter “toute autre personne qu’elle désigne” inclut des amis, des collègues ou toute autre personne de confiance. Cela élargit considérablement le champ des contacts. De plus, cela renforce nécessairement les droits de la défense. Entre autres, pour une personne placée en garde à vue qui n’aurait plus de liens avec sa famille, ou qui craindrait la réaction de ses proches pour préférer appeler un ami.
À l’occasion d’un accident de la route provoqué par un jeune conducteur, au surplus sous l’emprise d’alcool et/ou de stupéfiants, il arrive fréquemment que le gardé à vue ne souhaite pas faire prévenir ses parents. Mais plutôt un ami ou un autre membre de la famille en ligne indirecte. Toutefois, cette réforme devra être perfectionnée au fil du temps. En effet, elle ne permet toujours pas à l’avocat d’accéder à l’ensemble du dossier dès le début de la garde à vue.