Quelle est la meilleure définition de la kafala ? Qu’implique-t-elle ? Quelles sont les conditions qu’elle se doit de remplir pour qu’un juge en France lui donne force exécutoire ? Et que se passe-t-il dans le cas inverse ? Le point avec Maître Dupuy-Chabin.
Tout d’abord, pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste la kafala Maître ?
Maître Dupuy-Chabin : La kafala est une mesure d’accueil légal d’un enfant mineur par une famille qui s’engage à prendre en charge son entretien, son éducation et sa protection. Cette mesure révocable ne crée aucun lien de filiation entre le recueillant et l’enfant. Son domaine concerne, d’une part, les enfants qui ont une filiation légalement établie. D’autre part, les enfants de filiation inconnue.
Combien de temps dure une kafala ?
Maître Dupuy-Chabin : Cette mesure de protection cesse de produire effet à la majorité de l’enfant.
Quelles sont les spécificités de la kafala par rapport à l’adoption ?
Maître Dupuy-Chabin : En droit musulman, l’adoption, en tant que mécanisme juridique créant un lien de filiation, est interdite. Seule la kafala est autorisée pour une personne ou un couple dont l’un au moins des conjoints est de confession musulmane. C’est le cas notamment en Algérie et au Maroc. La kafala est reconnue par la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 comme une mesure pérenne de protection de l’enfant sans famille qui ne crée aucun lien de filiation.
Comment est-il possible de conférer force exécutoire de la kafala en France ?
Maître Dupuy-Chabin : Il faut solliciter l’exequatur auprès du juge français. Toutefois, l’exequatur n’est accordée que si la décision étrangère respecte les trois conditions suivantes :
- En premier lieu, elle doit avoir été rendue par une juridiction compétente. La juridiction étrangère est considérée compétente s’il existe un lien caractérisé entre le litige et le pays dont le juge a été saisi.
- Ensuite, elle doit être en conformité avec l’ordre public international. La décision étrangère doit être conforme à l’ordre public international de fond et de procédure.
- Enfin, elle doit avoir été rendue en l’absence de toute fraude. La décision doit avoir été rendue sans manœuvres déloyales à seule fin d’éluder les règles français de droit international privé.
Que se passe-t-il en cas de doute quant à ces trois conditions ?
Maître Dupuy-Chabin : Les juges français examinent ces conditions pour rendre leur décision sous l’égide du ministère public. Celui-ci prend part à la procédure et donne son avis. S’il y a le moindre doute, en particulier sur la conformité avec l’ordre public international, ou concernant une éventuelle tentative de déjouer les règles françaises de droit international privé (fraude à la loi), le juge rejettera la demande.
Avez-vous déjà rencontré cette situation avec l’un de vos clients ?
Maître Dupuy-Chabin : En effet. Dans le cadre d’une procédure d’exéquatur de kafala que mon cabinet a accompagnée, le ministère public s’est opposé à la demande en raison d’une mention figurant sur l’acte étranger de kafala. Celle-ci tendait à l’obligation d’assurer à l’enfant une éducation islamique. Autrement dit, il s’agissait d’une mention contraire à l’ordre public français.
Quelles actions avez-vous mises en place ?
Maître Dupuy-Chabin : J’ai œuvré avec la famille pour réunir des éléments pertinents afin de démontrer au tribunal les valeurs et les principes fondamentaux transmis à l’enfant. Ces derniers étaient très éloignés d’une éducation islamique.
Cette approche vous a-t-elle permis d’obtenir une issue favorable ?
Maître Dupuy-Chabin : Oui. La présentation d’arguments pertinents et d’éléments visant à rassurer la juridiction ont permis de faire évoluer favorablement la position du ministère public et celle du juge.
Pour conclure, quelles seraient vos principales recommandations concernant le projet d’obtention d’un jugement d’exequatur de kafala ?
Maître Dupuy-Chabin : Un jugement de ce type ne s’obtient pas automatiquement. Il est très important de présenter un dossier complet. De plus, ce dossier se doit d’être en corrélation avec les exigences du droit français et de l’ordre public international. Pour ces raisons, le conseil et l’accompagnement personnalisés d’un avocat sont fortement recommandés. Et ce, tout au long de la procédure.