Dans un arrêt rendu le 27 janvier 2021, la Cour de Cassation a cassé un arrêt d’appel en vertu du principe de proportionnalité. Cette décision inédite prolonge la discussion portant sur le droit du père biologique d’un enfant né sous X d’établir son lien de filiation paternelle.
Pour la première fois, la Cour de Cassation a cassé un arrêt d’appel en vertu du principe de proportionnalité. Et ce, dans un arrêt rendu le 27 janvier 2021. Elle reproche aux juges du fond de pas avoir recherché si l’application des textes, qui privait le père biologique d’un enfant né sous X de faire valoir ses droits sur l’enfant, n’avait pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale. (Civ. 1ère, 27 janvier 2021, n° 19-15.921, 19-24.608 et 20-14.012)
Dans un premier temps, cette affaire avait donné lieu à la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) (Civ. 1re, 20 nov. 2019, n° 19-15.921). Puis à une décision du Conseil Constitutionnel (Cons. const. 7 févr. 2020, n° 2019-826 QPC). Cette décision inédite prolonge la discussion, depuis longtemps débattue et ranimée par ce litige. En l’occurrence, celle portant sur le droit du père biologique d’un enfant né sous X d’établir son lien de filiation paternelle.
Rappel des faits
En l’espèce, une enfant, née sous X le 23 octobre 2016, avait été immatriculée comme pupille de l’État le 24 décembre de la même année. Quelques jours plus tard, le 10 janvier 2017, le Conseil de Famille des pupilles de l’État avait consenti à son adoption. Dans cette perspective, il avait décidé de son placement le 28 janvier 2017.
L’enfant avait été remise entre les mains d’un couple, candidat à l’adoption, le 15 février suivant. Or, quelques jours avant ce placement, le père biologique de l’enfant avait entrepris des démarches auprès du procureur de la République. Son objectif : retrouver sa fille. Après l’avoir retrouvée puis identifiée, il avait procédé à sa reconnaissance le 12 juin 2017.
Enfant né sous X : l’adoption plénière
Le couple, chez lequel l’enfant avait été placée, avait ensuite déposé une requête. Et ce, afin que soit prononcée l’adoption plénière de l’enfant. Dès lors, son père biologique était intervenu volontairement à l’instance. En effet, la Cour d’appel (Riom, 5 mars 2019, n° 18/01171) avait prononcé l’adoption de l’enfant et annulé l’acte de reconnaissance de son père biologique.
Dans ce contexte, le père biologique a formé un pourvoi en cassation. À cette occasion, il a soulevé une QPC visant les articles 351, alinéa 2, et 352, alinéa 1er du Code civil. Ces derniers sont relatifs au placement d’un enfant en vue de son adoption plénière. Le but du père consistait à contester les effets, irréversibles et drastiques, que ce placement emportait. Plus précisément, quant aux droits de la famille biologique de l’enfant. Entre autres, en privant d’efficacité les effets d’une reconnaissance paternelle postérieure à cette décision.
Enfant né sous X : le droit de mener une vie familiale normale
Les textes discutés disposent que le placement, consistant en la remise effective aux futurs adoptants d’un enfant déjà susceptible d’être adopté, fait obstacle à la restitution de l’enfant à sa famille d’origine. De plus, le placement interdit aux parents biologiques d’établir leur paternité ou leur maternité.
Cependant, le législateur a pris la précaution d’encadrer, par diverses dispositions, le déroulé de cette procédure. De fait, il s’agit d’éviter que le sort de l’enfant ne soit trop hâtivement scellé. Finalement, le Conseil Constitutionnel en avait conclu que le dispositif prévu conciliait de manière juste, raisonnable et équitable, le droit des parents biologiques à mener une vie familiale normale. Ainsi que l’objectif de favoriser l’adoption de l’enfant privé de filiation (Cons. const. 7 févr. 2020, préc.).
Le droit d’établir un lien de filiation
L’analyse des juges du fond avait déduit l’inefficacité de la reconnaissance du père biologique de l’enfant. Ainsi que son absence consécutive d’intérêt à agir dans la procédure d’adoption le concernant. Et ce, sur la base des règles applicables à la procédure d’adoption des pupilles de l’État. Pourtant, après que la Haute Cour ait approuvé cette analyse, l’affaire connaît un rebondissement. Dans ce sens, cette dernière en appelle, de manière inédite, au contrôle de proportionnalité. Ainsi, elle reproche à la Cour d’appel de ne pas l’avoir exercé, justifiant la cassation avec renvoi de sa décision.
La Cour de Cassation reproche aux juges du fond, en vertu du principe de proportionnalité, de ne pas avoir recherché si l’irrecevabilité de l’action du père biologique ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale, eu égard aux circonstances propres à l’espèce et aux différents intérêts en présence. En ce qu’elle interdisait l’examen de ses demandes.
Enfant né sous X : quel dénouement ?
La difficulté que la Cour d’appel aura à trancher demeure la balance entre, d’une part, le droit d’un enfant à mener une vie normale. Et ce, alors qu’il a été privé d’un lien de filiation dès la naissance. D’autre part, le droit du père d’un enfant né sous X de faire établir son lien de filiation. Considérant le droit de ce dernier au respect de sa vie privée et familiale.