Royaume-Uni, Irlande, Slovaquie : ces pays européens autorisent déjà leurs jeunes conducteurs de 17 ans à prendre le volant seuls. Aux États-Unis, on leur octroie même cette autonomie dès l’âge de 16 ans. Par la voix de sa première ministre, la France a indiqué sa volonté de suivre le mouvement à travers une nouvelle réforme du permis de conduire. Certains y voient une opportunité de faciliter les déplacements des jeunes éloignés des centres-villes. D’autres s’interrogent déjà quant aux impacts de cette réforme sur la sécurité routière et à son cadre légal.
1 101 081 : c’est le nombre de candidats ayant obtenu en 2021 leur permis de conduire en France. Pour la même année, 82,9 % des conducteurs français disposaient de onze points au moins sur leur permis. Un pourcentage qui démontre, selon les pouvoirs publics, “l’adoption massive d’une conduite responsable”. De là à dire que ce constat a motivé la loi visant à faciliter le passage et l’obtention de l’examen du permis de conduire, et l’annonce d’une réforme du permis de conduire complémentaire, il n’y a qu’un pas.
Cette dernière consisterait à abaisser l’âge légal pour passer l’examen du permis et prendre le volant seul à 17 ans. C’est la première ministre Élisabeth Borne qui s’est chargée de la présenter le 20 juin dernier. Autrement dit, la veille de la promulgation de la loi du 21 juin 2023. Celle-ci a plusieurs objectifs. Mais si certaines mesures semblent aller dans le bon sens, d’autres interrogent. En premier lieu, les parents bien sûr. Mais également les acteurs du droit et de la sécurité routière ainsi que les représentants des auto-écoles.
Loi du 21 juin 2023 : les mesures phares à retenir
La loi n° 2023-479 du 21 juin 2023 a inauguré un certain nombre de nouvelles mesures ayant trait à l’examen du permis de conduire. Parmi elles :
- La création du site “1 jeune, 1 permis”, géré par Pôle emploi. Celui-ci consistera à lister et à catégoriser toutes les aides financières, notamment régionales et départementales, attribuées pour le passage de l’épreuve du code de la route et l’épreuve pratique sur route.
- Le financement de tous les types de permis grâce au compte personnel de formation (CPF). Le permis B et les permis professionnels C et D étaient déjà finançables via le CPF. Les permis motos A1, A2 et A, le permis voiturettes B1 et les permis remorques B96 et BE le seront également, dès le 1er janvier 2024.
- L’augmentation du nombre d’examinateurs. Et ce, afin que le délai médian entre deux passages de permis ne dépasse pas 45 jours. Dans cette optique, les fonctionnaires et les agents contractuels publics vont disposer de l’autorisation de faire passer l’épreuve pratique du permis.
- L’organisation de cours de code de la route dans les lycées en-dehors du temps scolaire. Et ce, à travers la mise en place d’une contractualisation facilitée entre ces établissements et les professionnels de l’enseignement de la conduite.
Conduire seul à 17 ans ou à 16 ans, est-ce une bonne idée ?
En parallèle de la promulgation de la loi du 21 juin 2023, les parlementaires ont demandé au gouvernement d’étudier un abaissement de l’âge d’obtention du permis de conduire dès 16 ans. L’annonce de la première ministre en faveur d’un abaissement à 17 ans pour passer l’examen et conduire seul, dès le 1er janvier 2024, constitue la réponse de l’exécutif en ce sens. Elle s’inscrit dans la continuité de cette possibilité déjà donnée aux jeunes en conduite accompagnée, depuis juillet 2019, de passer leur permis auto dès 17 ans.
Toutefois, cette possibilité s’accompagne de la nécessité d’atteindre l’âge de 18 ans pour conduire seul. Dès lors, quid de la responsabilité pénale d’un conducteur encore mineur lors d’un accident routier, après l’abaissement de l’âge d’obtention du permis et de conduite en toute autonomie ?
Responsabilité pénale vs. majorité pénale
Le Code de la justice pénale des mineurs, en vigueur depuis le 30 septembre 2021, distingue, d’une part, “l’âge à partir duquel un mineur peut être déclaré coupable d’une infraction”. Il s’agit de la responsabilité pénale, pouvant être engagée en France à partir de 13 ans. D’autre part, “l’âge à partir duquel l’auteur d’une infraction est considéré comme adulte et ne peut bénéficier de l’excuse de minorité, autrement dit, d’un adoucissement de sa peine”. Il s’agit de la majorité pénale, fixée en France à 18 ans.
En d’autres termes, en-dessous de 18 ans, un jeune conducteur à l’origine d’un accident de la route ne peut pas, à l’heure actuelle, être sanctionné comme un adulte. Quelles conséquences sur les droits des victimes (et la réparation des préjudices qu’elles subissent ainsi que leurs proches) ?
En outre, le conducteur mineur relève actuellement du juge des enfants. Celui-ci se doit de prononcer tout jugement “en stricte considération de l’intérêt de l’enfant”, comme le prévoit l’article 375-1 du Code civil. Mais disposera-t-il demain des compétences appropriées pour appréhender les contentieux routiers ? Quelles réformes nouvelles et complémentaires, notamment du Code pénal, cela induirait-il a contrario ?
Réforme du permis de conduire : un cadre légal qui reste à “préciser”
Selon le bilan définitif de l’accidentalité routière en 2022, les jeunes conducteurs de 18-24 ans comptent toujours parmi les plus à risque. 549 (soit 101 tués par million d’habitants de cet âge) ont trouvé la mort sur la route. En outre, 2 739 (soit 506 blessés graves par million d’habitants de cet âge) ont été grièvement blessés. Ces chiffres ne sont pas rassurants. Tant pour les jeunes concernés et leur famille, que pour les autres usagers de la route.
Ainsi, au-delà de la vague d’infractions et de contentieux nouveaux que certains spécialistes du droit pénal routier anticipent déjà au sein des tribunaux pour enfants, d’autres acteurs de la sécurité routière, mais aussi des auto-écoles, pointent du doigt le fait que cette réforme du permis de conduire aille à contresens de l’objectif de l’OMS et des pouvoirs publics français de diviser par deux le nombre de morts sur les routes françaises d’ici 2030.
En parallèle, certains spécialistes des assurances prévoient une hausse substantielle du prix du contrat auto du jeune conducteur de moins de 18 ans. Entre autres, du fait que les compagnies considèrent qu’il est plus susceptible d’être impliqué dans un accident routier.
L’avis de Maître Dupuy-Chabin
L’abaissement de l’âge du conducteur principal à 17 ans pose avant tout la question de la maturité du jeune. D’une part, pour appréhender le volant. D’autre part, les enjeux et les dangers de la route. En effet, si certains jeunes conduisent déjà dès 16 ans, ces derniers sont accompagnés par un conducteur majeur et acquièrent une certaine expérience de la conduite. Cela rassure et permet d’éviter de réels dangers.
Un jeune de 17 ans reste un enfant mineur. Il est doté d’une capacité à analyser les éléments de son environnement et d’un discernement très variables d’un individu à un autre. De fait, n’importe quel jeune n’est pas forcément en capacité d’appréhender le volant et les risques qu’il prend. Quand bien même il aurait obtenu son permis de conduire.
Cas pratique
Prenons l’exemple, malheureusement trop fréquent, de la consommation d’alcool et de stupéfiants. Ces premières expériences ont souvent lieu à 16/17 ans justement. Quelle sera la prise de conscience d’un jeune conducteur après en avoir consommé et tout juste obtenu son permis de conduire ? Faut-il multiplier les expériences lourdes de conséquences pendant cette même tranche d’âge ?
Comme le souligne très justement l’auteur de cet article, les parents seront davantage exposés aux conséquences et à la responsabilité juridique relatives aux accidents de la route causés par leurs enfants. Mais aussi celles en rapport avec l’indemnisation des victimes. De fait, l’assurance automobile sera plus coûteuse. Et l’assurance responsabilité civile des parents pourra sans doute l’être tout autant. C’est pourquoi le système de la conduite accompagnée apparaît tel un préalable nécessaire et indispensable pour tous les jeunes qui souhaitent obtenir leur permis de conduire à l’âge de 17 ans.