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Devoir conjugal : droits humains

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Certains avancent déjà que l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) du 23 janvier 2025 pourrait faire jurisprudence en matière de droit conjugal. Au-delà, il pourrait mener à redéfinir les contours de la notion de faute durant le mariage, dans la continuité des dispositions légales promulguées en France ces dernières années en faveur des victimes de viols et d’agressions sexuelles au sein du couple, marié ou pas.

Peut-on considérer que le fait qu’un membre d’un couple marié refuse d’avoir des relations sexuelles avec son mari ou, selon les cas, sa femme, puisse constituer une faute au moment du divorce ? À cette question, la cour d’appel de Versailles avait répondu par l’affirmative le 7 novembre 2019. Pour elle, ce refus constituait “une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune” (article 242 du Code civil).

Mais le 23 janvier dernier, la CEDH a condamné l’arrêt de la cour d’appel. Du fait, entre autres, que ce dernier ne prenait pas en compte le consentement aux relations sexuelles de l’épouse incriminée. En outre, qu’il éludait la possibilité que toute relation sexuelle non consentie puisse mener à des violences sexuelles, y compris dans le cadre du mariage. Enfin, qu’il pouvait entraîner un déséquilibre entre ses intérêts et ceux de son ex-mari.

Devoir conjugal : quelles sont ses origines ?

Pour répondre à cette question, il faut se référer au droit canonique de l’Église catholique… au Moyen-Âge. Selon ce dernier, le mariage avait pour vocation à favoriser la procréation entre époux. Dans ce cadre, les relations sexuelles étaient une obligation mutuelle.

Le Code civil s’est appuyé sur ce droit canonique pour intégrer le devoir conjugal à la loi française, sans le nommer explicitement comme tel. En particulier, et en complément de l’article 242 cité plus haut, à travers deux autres articles clés :

  • D’une part, l’article 212 : relatif notamment à la fidélité entre époux.
  • D’autre part, l’article 215, prévoyant que “les époux s’obligent mutuellement à une communauté de vie.”

Un devoir anachronique ?

La loi n° 2006-399 du 4 avril 2006, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, a introduit des dispositions essentielles. Entre autres, afin de faire prévaloir le consentement et les droits fondamentaux de chaque membre du couple.

Parmi ces dispositions, citons :

  • La reconnaissance du viol entre époux : déjà designé ainsi par la Cour de cassation dans son arrêt du 5 septembre 1990, comme rappelé dans cet article.
  • L’instauration d’une circonstance aggravante générale pour les crimes et délits commis au sein du couple, étendue aux concubins, aux partenaires liés par un PACS et aux « ex ».

En outre, la loi du 4 avril 2006 a modifié l’article 212 du Code civil, tout en ajoutant un alinéa à l’article 222-22 du Code pénal. Depuis, “le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu’ils ont été imposés à la victime […] quelle que soit la nature des relations existant entre l’agresseur et sa victime, y compris s’ils sont unis par les liens du mariage.”

Devoir conjugal : quel avenir ?

Selon les chiffres de l’INSEE, partagés dans l’édition 2021 de son étude Sécurité et société, on a recensé 160 000 victimes de violences commises au sein de la famille en 2019. Ces violences désignent tout autant celles physiques que sexuelles. Dans ce dernier cas, 85 % des victimes sont des femmes, majeures ou mineures. Les mis en cause sont principalement des hommes pour les violences sexuelles sur majeur (99 %) et sur mineur (95 %).

En outre, d’après le rapport du Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, relatif à son enquête sur le sexisme en France réalisée en 2023, 33 % des femmes interrogées ont déjà eu un rapport sexuel suite à l’insistance de leur partenaire, alors qu’elles n’en avaient pas envie.

Si l’on associe ces chiffres à la décision de la CEDH, on ne peut que s’interroger sur la persistance du devoir conjugal. En effet : dans quelle mesure ce dernier peut-il être compatible avec la liberté de chacun au sein du couple, et le droit au respect de son intégrité corporelle ? Quel nouveau cadre donner à l’institution juridique du mariage afin que les obligations matrimoniales qui en découlent protègent les droits humains de chaque membre du couple ?

Une fin déjà écrite ?

C’est ce qu’avancent déjà certains professionnels du droit, spécialisés en droit de la famille et en droit des victimes. Et pour cause : si, pendant de nombreuses années, les jugements prononcés en France ont initié une jurisprudence régulière en faveur de la poursuite de l’existence du devoir conjugal, la décision de la CEDH semble constituer, selon eux, le début de sa fin. Dans ce sens, celle-ci offre aux juges, notamment en France, l’opportunité d’une nouvelle interprétation du droit.

L’avis de Me Dupuy-Chabin

Le devoir conjugal a depuis toujours été associé à l’idée de procréer et de fonder une famille avec la personne épousée. C’est, en ce sens, que les juridictions reconnaissent de manière constante une valeur fondamentale à ce devoir, indirectement mentionné dans le Code civil.

Toutefois, l’émergence des nouvelles formes d’union amène désormais à revoir les fondements juridiques du mariage et la notion des droits et obligations attachés à ce dernier. Cela pourrait-il mener à une nouvelle forme de couple sans relations charnelles ?

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