L’attestation de déplacement dérogatoire, mise en place durant la période de confinement, n’a rien d’obligatoire. En parallèle, elle a donné lieu à plusieurs procès-verbaux abusifs. Dans quelle mesure pouvez-vous les contester ?
Dans le cadre de la pandémie de coronavirus, le gouvernement français a fait voter des mesures urgentes. Objectif : fixer des règles strictes concernant les déplacements de la population. Ces mesures sont issues du décret n°2020-293 datant du 23 mars 2020. Il prescrit les dispositifs généraux nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Notamment en matière de confinement. En parallèle, ce décret prévoit des dispositions concernant les transports et les déplacements. En cas de violation, ces derniers sont sanctionnés d’une amende forfaitaire de 135 euros. Par conséquent, depuis le 23 mars 2020, nous sommes tous contraints d’effectuer l’ensemble de nos déplacements munis d’une attestation de déplacement dérogatoire.
Or, cette attestation, d’une part, manque de précision. D’autre part, elle retranscrit de manière incomplète l’esprit du texte contenu dans le décret. Ainsi, cette situation octroie une marge d’appréciation considérable aux agents verbalisateurs. De plus, elle offre un certain nombre d’opportunités quant à la contestation des procès-verbaux dressés par ces derniers. C’est pourquoi le texte a été modifié cinq fois depuis sa toute première version. La plus récente date du 26 avril 2020. Que doit-on concrètement en retenir ? Quelles sont les limites de l’attestation de déplacement dérogatoire ? Comment contester un procès-verbal qui pourrait vous être adressé en cas de “manquement” à l’un des huit cas que celle-ci prévoit ?
Déplacements pour les achats personnels et professionnels
Tout d’abord, sachez qu’il n’existe aucune distance précise pour aller faire vos courses. Autrement dit, si vous voulez les faire à deux, cinq ou dix kilomètres de votre domicile (et pourquoi pas plus), vous en avez parfaitement le droit. En outre, l’agent verbalisateur n’est jamais juge de la validité du motif. Il suffit que ce motif existe : “Je vais effectuer un achat dans un établissement ouvert au sens de l’article 8 du décret 2020-293 du 23 mars 2020”. Aussi, peu importe ce que vous allez acheter : il n’y a nul besoin de vous justifier.
Dans la même optique, tout trajet pour aller acheter un quelconque bien lié à votre activité professionnelle est justifié dans le décret du 23 mars 2020 modifié : “fournitures nécessaires à l’activité professionnelle”. Ceci permet un très large champ d’application. Là non plus, un agent verbalisateur n’a aucun pouvoir d’appréciation sur le sujet.
Déplacements pour “motif familial impérieux” et pour motif professionnel
Premièrement, le “motif familial impérieux” constitue une notion très floue. En d’autres termes, elle est soumise à toutes les interprétations possibles. D’ailleurs, c’est une des causes, au visa du principe de la légalité des délits et des peines ainsi que de l’article 34 de la Constitution, pour laquelle ce décret est illégal et inconstitutionnel. L’agent contrôleur n’étant pas juge de la validité de votre «motif familial impérieux», le champ de son application est ainsi particulièrement large. Nous sommes ici hors champ d’application pour garde d’enfants ou pour assistance aux personnes vulnérables.
Ensuite, contrairement à ce qui est indiqué dans le modèle de l’attestation de déplacement dérogatoire concernant le motif professionnel, le trajet entre le domicile et le lieu de travail est par définition autorisé. Et ce, sans que la condition “indispensable à l’exercice d’activités ne pouvant être organisées sous forme de télétravail” ne soit nécessaire. En effet, le décret du 23 mars 2020 modifié ne la prévoit pas. La seule mention qui y figure est la suivante : “insusceptibles d’être différés”.
Attestation de déplacement dérogatoire : dans le fond et dans la forme
L’attestation de déplacement dérogatoire n’a rien d’obligatoire. En réalité, elle n’est pas prévue par le texte. De plus, sa forme n’a aucune règle. Le décret 2020-293 exige seulement que les personnes qui veulent bénéficier d’une des huit causes des exceptions à l’interdiction de déplacement soient munies “d’un document leur permettant de justifier que le déplacement considéré entre dans le champ de l’une de ces exceptions”. Ainsi sont recevables :
- Un justificatif de domicile accompagné d’un justificatif du lieu de travail pour les trajets professionnels.
- Une liste de course dans le cas des achats personnels et professionnels.
- Un e-mail ou un courrier émanant d’un membre de la famille pour “motif familial impérieux”…
Pour les cas où aucun document ne peut être produit, par exemple, concernant un déplacement bref dans la limite d’une heure autour du domicile pour l’activité physique ou la promenade, il est possible d’utiliser un modèle d’attestation de déplacement dérogatoire proposé sur internet. Toutefois, notez que l’attestation n’a aucune règle de forme. Par conséquent, vous pouvez la raturer, y faire figurer différents motifs voire même, ne pas la signer.
Contester un procès-verbal adressé en cas de “manquement” à l’un de ces huit cas prévus par l’attestation
À la lecture des nombreuses brèves parues dans les journaux et sur le web depuis la mise en application du décret et de l’attestation de déplacement dérogatoire, il semblerait que les abus soient nombreux. Pourtant, la contestation de ces procès-verbaux parfaitement abusifs est simple et rapide. En effet, aucune circonstance précise n’est détaillée dans ce PV. De sorte que l’on ignore le déroulé et la réalité des faits. Or, une contravention doit nécessairement être précise. En d’autres termes, elle doit relater les faits constatés in concreto, ne serait-ce que pour adapter la peine pénale (Cass. Crim. 27/11/2018, n°18-82577).
En outre, le PV vise un « document justificatif conforme ». Au même moment, le texte du décret 2020-293 du 23 mars 2020 ne fixe aucune forme pour le fameux « document » justificatif. Ainsi, par définition, on ne peut être porteur d’un « justificatif non conforme » puisque ce dernier n’a aucune forme.