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Filmer un accident avec un smartphone en conduisant : restez concentré sur la route !

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Maître Dupuy-Chabin était l’invitée de Radio Vinci Autoroutes le 23 septembre 2025. Au micro de Sébastien Ponchelet, elle a partagé son expertise en droit routier à travers plusieurs questions relatives à l’usage du téléphone au volant. Entre autres, pour filmer un accident avec un smartphone en conduisant.

Nous sommes le vendredi 6 juin 2025 : un camion se renverse sur l’A7 dans la Drôme. Plusieurs restrictions de circulation sont mises en place, entraînant des bouchons. Mais alors que les secours et les forces de l’ordre s’activent, plusieurs automobilistes, qui passent près de l’accident, ralentissent et filment. Résultat : 109 d’entre eux ont écopé d’une amende de 135 euros et d’un retrait de trois points sur leur permis de conduire.

Dans l’émission “Les routiers sont toujours aussi sympas”, Maître Elfried Dupuy-Chabin, avocate au barreau de Toulouse spécialisée dans le droit routier et secrétaire de l’association AFEDR, est revenu sur cet événement avec Sébastien Ponchelet, afin d’informer les auditeurs quant à l’usage du téléphone en conduisant.

Verbalisation de 109 automobilistes ayant filmé un accident avec leur smartphone : légal ou pas ?

Maître Elfried Dupuy-Chabin : Oui. Il faut préciser que ce n’est pas le fait de filmer un accident qui est interdit, mais le fait de tenir un téléphone ou un appareil en main en conduisant. C’est l’article R412-6-1 du Code de la route que le prévoit.

Cette infraction entraîne une amende forfaitaire de 135 euros et le retrait de trois points du permis. En outre, le site de la Sécurité routière indique que tenir son téléphone en main multiplie par trois le risque d’accident. Et jusqu’à 23 fois si le conducteur lit un SMS.

Est-ce légal de verbaliser les automobilistes en se limitant à relever leur plaque ?

Maître Elfried Dupuy-Chabin : Oui, c’est tout à fait légal de relever uniquement les plaques grâce à la vidéo-verbalisation. C’est exactement le même principe que pour les radars automatiques. Cette pratique renvoie à l’article L251-2 du Code de la sécurité intérieure, prévoyant que des systèmes de vidéoprotection peuvent être mis en œuvre sur la voie publique par les autorités publiques compétentes aux fins d’assurer notamment :

  • La protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords.
  • La sauvegarde des installations utiles à la défense nationale.
  • La régulation des flux de transport.
  • La constatation des infractions aux règles de la circulation.

On note que la vidéo-verbalisation n’est possible qu’à la condition que le visionnage des images ait lieu en direct. De ce fait, il est également nécessaire que l’agent verbalisateur en charge du relevé d’infraction soit compétent pour la constater.

Filmer ou photographier avec son smartphone en conduisant : s’agit-il d’une interdiction formelle ?

Maître Elfried Dupuy-Chabin : Filmer en soi n’est pas interdit. La sanction porte uniquement sur le fait de tenir le téléphone ou l’appareil en main alors que le véhicule est en circulation. En effet, cela détourne l’attention du conducteur.

Comme le précise la Sécurité routière, tenir son téléphone en main provoque une distraction visuelle, cognitive, auditive et physique. De plus, cela augmente le temps de réaction et le temps de freinage. Sans oublier que cela réduit considérablement le champ de vision et la bonne appréhension des distances de sécurité.

Un automobiliste qui filme avec son smartphone en conduisant peut-il être poursuivi pour mise en danger de la vie d’autrui ?

Maître Elfried Dupuy-Chabin : Oui, si sa conduite devient erratique ou dangereuse. Par exemple, en ralentissant ou en freinant brusquement pour filmer un accident. L’article 121-3 du Code pénal précise que “les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer.”

Et si c’est l’un des passagers qui filme, est-ce dangereux ?

Maître Elfried Dupuy-Chabin : Aucune sanction pour le passager : il ne conduit pas. Le risque apparaît uniquement si le conducteur ralentit ou manipule son téléphone pour le laisser filmer, ce qui devient alors une conduite dangereuse et sanctionnable.

Concrètement, quels sont les risques de filmer un accident en voiture ?

Maître Elfried Dupuy-Chabin : Les risques principaux sont liés à la distraction du conducteur :

  • Augmentation du temps de réaction et de freinage.
  • Réduction de la distance de sécurité et du champ de vision.
  • Difficulté à maintenir une vitesse et sa trajectoire.
  • Stress et moindre conscience de l’environnement.

Comme le rappelle la Sécurité routière : “Quand vous regardez votre téléphone, qui regarde la route ?”

Ce type de comportement, consistant à ralentir ou s’approcher pour filmer un accident, est particulièrement dangereux. Il va à l’encontre des règles établies pour protéger les intervenants et les services de secours (pompiers, SAMU et police). Le décret du 17 septembre 2018 relatif à la sécurité routière, à son article 11, oblige tout conducteur à s’écarter au maximum des véhicules immobilisés ou circulant lentement avec feux spéciaux ou de détresse. Et ce, afin de garantir la sécurité des personnels présents sur le bord de la route.

Filmer avec son smartphone en conduisant : peut-on parler d’une “nouvelle infraction” ?

Maître Elfried Dupuy-Chabin : Non. Il n’existe pas de loi spécifique sur le fait de filmer un accident. La sanction actuelle relève de la conduite avec téléphone tenu en main. Le cadre juridique reste celui du Code de la route et de la sécurité routière.

Malgré tout, le contexte dans le cadre duquel l’infraction est relevée peut amener à des discussions futures sur l’évolution du cadre juridique de la définition de cette infraction avec l’émergence des réseaux sociaux.

Est-ce un problème si les vidéos filmées ce jour-là se retrouvent en ligne, notamment pour la vie privée des propriétaires des véhicules accidentés ?

Maître Elfried Dupuy-Chabin : Oui. Diffuser des images de victimes peut constituer une atteinte à la vie privée. En effet, le droit à l’image, protégé en droit français et européen, est un droit de la personnalité. Les droits de la personnalité sont des droits fondamentaux et inaliénables à la personne humaine.

L’article 9 du Code civil dispose que “chacun a droit au respect de sa vie privée”. En outre, l’article 8.1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales déclare que “toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance”.

Le droit à l’image, en tant qu’attribut de la personnalité, fait partie de la vie privée. Toute atteinte au droit à l’image constitue de ce fait une violation de la vie privée. Le droit à l’image est applicable quel que soit le mode de diffusion de la photographie ou de la séquence vidéo. 

Quel est le critère principal ?

Maître Elfried Dupuy-Chabin : L’identification de la personne sur l’image. En définitive, le seul fait de permettre l’identification d’une personne à travers son image est constitutif d’une atteinte à la vie privée.

L’autorisation de la personne est indispensable qu’elle soit une personne publique, une connaissance ou un membre de sa famille. Il en est de même pour la publication sur Internet de photo- montages. Le fait que la personne prise en photo soit dans un lieu public n’a aucune conséquence si elle apparaît de manière isolée grâce au cadrage réalisé par le photographe (Civ. 1ère 12 décembre 2000). L’accord doit être écrit car, en cas de litige, il faut apporter la preuve qu’on a obtenu l’autorisation de la personne.

Ainsi, le fait de filmer un accident puis de le publier sur les réseaux sans consentement préalable constitue une atteinte à la vie privée.

Quelles sont les sanctions qu’encourent les automobilistes ayant filmé l’accident avec leur smartphone en conduisant s’ils les mettent en ligne ?

Maître Elfried Dupuy-Chabin : L’article 226-1 du Code pénal prévoit une peine pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement et 45000 euros d’amende pour le fait de capter ou de fixer, quel que soit le support employé, et sans le consentement de l’intéressé, des images lorsqu’il s’agit de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui. La responsabilité incombe donc en premier lieu à la personne qui met en ligne la vidéo.

En pratique, cela signifie qu’une vidéo d’accident diffusée sans le consentement des victimes constitue un contenu illicite. Le signalement d’un internaute, mais également une demande des autorités peuvent mener à son retrait. La responsabilité n’est donc plus seulement individuelle. Elle s’élargit aussi aux géants du numérique. Désormais, ces derniers sont contraints d’agir de manière proactive pour limiter la diffusion de ces contenus.

Retrouvez l’intervention de Maître Dupuy-Chabin en intégralité dans le replay de l’émission du 23 septembre 2025 (de la 16ème à la 22ème minute).

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